1944, Le groupe HONNEUR ET PATRIE

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Témoignages des proches :

Les enfants, neveux et nièces témoignent dans cette vidéo commune : témoignages vidéo

Le père de Marie-Thérèse Gauthier appartenait au groupe Honneur et Patrie-17 et a été déporté (voir l’historique ci-dessous).  Elle a témoigné en même temps que les descendants de ce même groupe dont le père a été fusillé à Souge ». Témoignage M-T G

Historique du Groupe Honneur et Patrie, communiqué par Jean Matifas*

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∗ Jean Matifas, ancien résistant détenu à Eysses et déporté, a occupé de nombreuses responsabilités dans les organisations mémorielles de la Résistance et de la déportation jusqu’à son décès le 05 Août 2012 dans sa 88ème année.

Quelques éléments ci-dessous sur l’action du groupe Honneur et Patrie de Charente-Maritime :

Les parachutages

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Souvenirs de Guy Chotard :

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Discours inaugural de la stèle du Pont de la Bergère à Saint-Just-Luzac prononcé par Alexis Marot le 11 juin 1967 :

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Le secteur de Saint-Just-Marennes

Origine des groupes

Le secteur est organisé par Guy Chotard, pilote de chasse, libéré de ses obligations militaires en octobre 1940. Il tente à deux reprises de passer en Angleterre, finalement en juin 1942, il se fixe à Marennes. Peu après par l’intermédiaire de Robert Duc et de Marcel Pattedoie deux connaissances marennaises, Jean Garnier chef de l’organisation paramilitaire départementale, le contacte pour le compte de l’OCM. Il lui demande de recruter des résistants et d’organiser la région de Marennes. En tant que responsable local, il reçoit diverses missions : collecter des renseignements sur les forces ennemies mais surtout repérer un terrain pour de futurs parachutages et par conséquent préparer une équipe pour cette éventualité. La région semble favorable avec ses grandes étendues de marais voués à la solitude. Pour s’assurer une couverture, Chotard devient marchand d’œufs sur les marchés, une activité qui le cas échéant lui permettrait de justifier ses déplacements de chef résistant. À la suite d’une réunion à La Rochelle chez Léopold Robinet, le nouveau responsable départemental, il est chargé de préparer l’avenir et d’organiser des sections civiles qui le moment venu, seront capables de remplacer les fonctionnaires collaborateurs et d’assurer le contrôle des structures administratives, mairie, poste, tribunal. Le colonel Laudoyer responsable militaire du secteur, lui demande de s’informer sur les possibilités agricoles locales et sur les stocks, ce dont il charge Max Roy. Au cours d’une de ses visites, le colonel lui demande de l’accompagner chez Jean Hay, l’ancien député de Marennes, qui déjà avait été contacté par Jean Garnier, sur les conseils de Raymond Bouchet. Laudoyer et Chotard lui proposent de diriger la résistance locale. Jean Hay décline la proposition, précisant qu’il n’a jamais été soldat par contre il en accepte la responsabilité civile.

L’organisation de la résistance dans le Marennais

Début 43, des équipes de volontaires sont constituées. Elles sont spécialisées.

  • L’équipe de renseignements est surtout basée sur Marennes. :
  • Hervé Augustin, le patron du café de Paris est très à l’écoute de ses habitués allemands qui souvent abusent de la boisson et lâchent des indiscrétions intéressantes.
  • Émile Garnier apporte des nouvelles de la région, ainsi que M. Ricou chef du passage des eaux de la Seudre à La Cayenne entre Marennes et La Tremblade.
  • À la poste le directeur, M. Quentin surveille courrier et téléphone, les Allemands utilisant fréquemment le Central de la poste.
  • Dans les tribunaux où passent documents et dossiers, le président du tribunal de Rochefort M. Dufour, et M. Limousin huissier au tribunal de Saintes, recueillent et transmettent de nombreuses informations.
  • L’équipe de parachutages comprend six hommes dont :
    • Robert Duc de Hiers/Brouage,
    • Trois membres de la famille Gorichon de Saint Just qui a payé un lourd tribu à la résistance. Le père ancien poilu, veuf avec 7 enfants n’a pas supporté en juin 1940, les 8 jours d’occupation de sa ferme et les déprédations qui s’en sont suivies. Ses filles chassées de la maison, ont dû coucher dans la paille. De plus son exploitation est la seule ferme du secteur à devoir livrer une partie de sa production aux réquisitions. Il entraîne dans la résistance ses fils Jean et René qui déjà avaient été sollicités par Max Roy.
    • Jean Gautier, transporteur, propriétaire d’un camion 5 tonnes, équipé d’un gazogène, dans lequel il a mis toutes ses économies. Deux jours par semaine, il est réquisitionné par les Allemands pour aller chercher de l’approvisionnement à La Pallice. Pour assurer son activité, il a obtenu un permis de circulation de jour et surtout de nuit. Au moment opportun, il va se mettre à la disposition du groupe pour transporter les armes parachutées.
  • À la gendarmerie de Marennes, Chotard s’est entendu avec l’adjudant -chef, Roger Brossard, que Jean Garnier a connu dans son poste précédent à la brigade de Saint Hilaire de Villefranche.
  • Un groupe s’est créé à Bourcefranc, la ville voisine de Marennes avec Pierre Gorry et Baptiste Tellet

Été 1943, la région de Marennes est intégrée dans l’organisation de la Résistance départementale. Les membres du groupe se retrouvent sous la direction du mouvement « Honneur et Patrie » et de son chef Léopold Robinet. En tant que chef résistant local, Guy Chotard a participé à plusieurs réunions de l’état-major départemental à La Rochelle.

La responsabilité civile

Début août 1943, Jean Hay, voit ses responsabilités élargies. En effet, il a été nommé responsable civil du secteur Sud-ouest du département dont Marennes et Saint Just font partie. Il est secondé par le président du tribunal de Rochefort, M. Dufour, le greffier du tribunal de Saintes Jean Limousin et le directeur des postes de Marennes M. Quentin.

Dans ce petit monde marennais un minimum de cloisonnement a été établi. Guy Chotard est le seul de son groupe, connu de l’état-major rochelais, de Jean Hay et de l’adjudant de gendarmerie Brossard. De même qu’il ignore que Robert Etchebarne le chef de groupe à Dolus, qui a participé à l’un des parachutages, est un agent de liaison de « Honneur et Patrie » et de Centurie.

L’organisation du secteur Marennes / Saint Just

  • Équipes de parachutage

Responsable : Guy Chotard. Jacques Palacin (F), Robert-Élie Duc, (F), Paul Chiron, René Gorichon (F), Jean Gorichon (F), Édouard Camus.

  • Transport des armes :

Jean Gautier (D), René Gadreau.

  • Montage des armes et commandos :

Secteur de Marennes : Guy Chotard, Jacques Palacin (F), Robert-Élie Duc (F), Paul Chiron, Ferdinand Lecêtre, Joseph Maquier.

Secteur de Saint-Just : Jean Gorichon (F), René Gorichon (F), Roger Gorichon, Édouard Camus, Victor Camus, Marcel Neau (D).

  • Préparation de parachutages et organisation générale :

Secteur de Marennes : Marcel Pattedoie, Adjudant-chef de gendarmerie Brossard.

Secteur de Saint-Just : Roger Gorichon, André Chotard, Max Roy

  • Équipe Civile : M. Dufour, Jean Limousin, M. Quentin
  • Équipe de renseignements : Hervé Augustin, Émile Garnier, M. Ricou.

Les parachutages

Les équipes de Marennes/Saint Just ont participé à trois parachutages dont deux pour leur secteur. Le troisième était destiné à Victor Charles de Romegoux. Début juillet, le terrain ayant été homologué, le balisage vérifié, Guy Chotard en compagnie de Jean Garnier, se rend à La Rochelle pour avertir Léopold Robinet et lui transmettre le message, « la mer est calme, les flots sont bleus ». Pour l’équipe, l’attente quotidienne près du poste de radio est relativement courte. La première tentative à la mi-juillet, ayant échoué, le parachutage annoncé par le même message, a lieu dans la nuit du 11 au 12 août.

Dans une lettre à Henri Gayot, Guy Chotard en a laissé une description précise :

« À 1 heure du matin nous entendîmes l’avion qui nous arrivait par le Nord-est, à environ 3 kilomètres au Nord de notre position. Je fis allumer les feux dans le sens du vent « Est-Ouest ». Le feu vert à droite du premier feu rouge face au vent. Je faisais cacher mon équipe pour la mettre à l’abri d’une rafale de mitrailleuse si par manque de chance nous avions affaire à un avion allemand. Je restais à côté du feu vert pour passer l’indicatif « la première lettre du message » à l’aide de ma lampe torche. Après nous être passé par 3 km. Nord, l’avion qui avait aperçu les feux vint nous faire un premier passage à 500 mètres d’altitude. Je lui passais le L en morse ; il vira sur la gauche, réduisant ses quatre moteurs et perdit de l’altitude, il revint face au vent à environ 100 mètres d’altitude. Avant d’arriver à notre verticale, de sa tourelle avant il répondit avec une lampe blanche au L en morse que je lui faisais parvenir. Puis ce fût le clic-clac des huit parachutes qui s’ouvraient et touchaient le sol presque immédiatement. Il remit les gaz et disparut à l’horizon par le Nord-est … Aussitôt les parachutes à terre, tombés à vingt mètres les uns des autres, le premier à dix mètres de la première lampe rouge. C’étaient des champions. Ils nous avaient fait un parachutage de chef.

 

 

 

Immédiatement nous nous mîmes au travail : enlever les parachutes des huit containers, les rassembler, les défaire car chaque container se divisait en quatre parties de 50kg. Pendant que l’équipe creusait un grand trou pour enterrer provisoirement les containers, je faisais l’inventaire assisté de Édouard C. et de Robert D…  Si l’avion avait donné l’éveil aux Allemands il est bien évident qu’‘il aurait été très dangereux de se trouver en face d’une patrouille en alerte avec un chargement d’armes, de plus… vu le terrain choisi, il n’y avait aucune chance de pouvoir situer l’endroit précis et de trouver les 10 m2 où étaient enterrés les containers, surtout que le tout était recouvert de gazon préalablement enlevé et reposé exactement en place « vu (que) l’humidité, l’herbe dans le marais ne jaunit pas » …

Notre travail fût terminé à 5h.30 du matin et nous avions eu la chance qu’un épais brouillard se forme vers les 3h du matin nous facilitant le travail et nous permettant à chacun de rentrer chez nous avec 10 mètres de visibilité au plus… »

Les deux suivants se sont déroulés les 15 et 18 août dans le même lieu isolé, à proximité du pont de la Bergère, site à l’écart d’une circulation importante et facilement repérable à partir du ciel entre la route, le canal et la voie ferrée. D’autre part, l’adjudant-chef Brossard informé par Chotard, évitait d’envoyer une patrouille dans le secteur du parachutage. Persuadé à l’été 43, que le débarquement était proche, Chotard a prévu une cache provisoire : un trou creusé dans le marais sur le lieu même du parachutage oubliant que les pluies d’automne transforment le marais en bourbier tandis que l’humidité peut entraîner une détérioration du matériel. Finalement les armes sont déménagées de nuit, par Jean Gautier que Chotard a guidé dans le marais. Elles sont cachées sur la propriété Gorichon dans la cave d’une maison abandonnée à 200 mètres de la ferme mais… en bordure de la route Saintes /Marennes, axe assez passager. Elles sont déballées, prêtes à être redistribuées si l’ordre en est donné. Quelques temps plus tard, le groupe sans doute, décide de les déplacer et les camoufle au fond d’une fosse de stockage des betteraves aménagée dans un champ à l’écart de la ferme. Bien que discrètes toutes ces allées et venues n’ont-elles pas éveillé la curiosité du voisinage ?

Grâce aux deux parachutages le groupe de Marennes/Saint-Just dispose d’un stock d’armes et munitions, évalué à 4.8 tonnes. Par la suite le colonel Laudoyer informe Chotard qu’une partie de ce stock est destinée à l’île d’Oléron où la densité d’occupation est trop forte pour risquer un parachutage. Le transfert dans l’île serait possible grâce à la participation de Joseph Maxier qui fait souvent la traversée avec son bateau et de Robert Etchebarne agent des PTT dans l’île qui d’ailleurs, a participé au premier parachutage. Les arrestations de septembre et octobre 1943 mettent fin à toute idée de livraison.

Disposant désormais d’armes, Chotard décide alors de préparer militairement ses hommes. Il les organise en deux commandos, l’un sur Marennes et l’autre sur Saint Just. Plusieurs fois par semaine, les hommes se retrouvent nuitamment pour apprendre dans un premier temps le montage et l’utilisation des armes.

L’arrestation du groupe

Ce n’est que le 24 septembre 1943, soit 11 jours après le début des arrestations rochelaises que Guy Chotard est mis au courant des évènements par Jean Limousin. Étant le seul connu de Léopold Robinet, il décide de se mettre à l’abri mais auparavant il met en garde ses équipes. Cependant, le groupe est vite rassuré par un calme qui n’est sans doute qu’apparent puisqu’en octobre il est rapidement identifié. Il fait partie de la deuxième vague d’arrestations qui finit d’éliminer le groupe « Honneur et Patrie ». Son arrestation serait liée à une imprudence verbale de Robert Duc, une remarque trop précise faite lors d’un mariage à Sainte Radegonde, le 28 août 1943. Alors qu’il se trouvait à une table de fumeurs, au cours de la discussion, il aurait lâché : « les Anglais peuvent venir quand ils voudront, on a ce qu’il faut pour les aider », propos exact ou bien que la mémoire lui a attribué ? La remarque relevée par un serveur et transmise à la gestapo, devait être assez significative et avoir concouru à mettre les allemands sur la piste.

Quelques jours avant les arrestations, les habitants ont vu des policiers qui enquêtaient un peu partout dans la région et recherchaient des indices sur les parachutages. Ils détiennent une information très vague : les armes seraient chez « deux frères ». Le 8 octobre, tard le soir la gestapo fait une première visite dans la maison familiale de la famille Duc et se retire. Par contre, elle arrête un autre Duc qui, alors qu’il est ramené chez lui désigne une maison à Hiers, où dit-il, habite un autre Duc.

Aussi, le dimanche 10 octobre très tôt, les Allemands investissent le secteur entre Saint-Just et Hiers. Dans ce dernier village la gestapo se présente au domicile désigné qui est bien celui de Robert Duc. La perquisition leur permet de découvrir un parachute caché sous un matelas, preuve indiscutable de sa participation aux parachutages. Duc est rapidement retrouvé et arrêté. Pressés d’identifier ses « complices », les allemands exigent la convocation de tous les hommes de 18 à 45 ans. Le maire de Saint-Just envoie le garde champêtre battre tambour à travers la commune pour avertir les hommes qu’ils doivent se présenter à la mairie, entre 9 heures et midi. Ils sont contraints à défiler dans la grande salle de la mairie, devant Robert Duc encadré par un policier civil et le secrétaire de mairie, mais Duc n’a voulu reconnaître personne. Avant de sortir, le secrétaire de mairie a remis à chacun une attestation tamponnée avec cachet de la mairie. Inquiets Roger Gorichon, les frères Camus, Max Roy se sont rapidement éloignés tandis Jean et René Gorichon s’attardent à bavarder. Les Allemands, peu convaincus par le résultat de la première confrontation, exigent un deuxième passage devant Duc, mais cette fois chacun doit en même temps, décliner son identité. Les hommes encore présents sur la place sont rappelés et les deux frères Gorichon immédiatement suspectés, sont retenus. Ils doivent monter s’expliquer au premier étage. Dix minutes plus tard, d’une pâleur extrême, encadrés, ils ressortent de la mairie et sont embarqués dans deux voitures, direction la caserne « Commandant Lucas » à Marennes où ils subissent des interrogatoires d’une extrême violence.

Dans une lettre de 1996, le garde champêtre qui a fait le tour du village avec son tambour, a évoqué les scènes auxquelles il a assisté dans la mairie, ce 10 octobre 1943 :

 « Rentrant dans la grande salle, je vois cet étendard portant l’insigne hitlérien et à côté de lui, Duc de Hiers que je connaissais bien … La salle était pleine à craquer de jeunes curieux de voir. Des Allemands questionnaient Duc …

Le grand Mounier me repousse me disant :

  • Fous-moi le camp, on est déjà trop ici.

Je reçois l’ordre de rappeler les jeunes, principalement les Gorichon. René qui causait avec madame Jermain l’institutrice, me dit :

  • Et ils nous font ch… !

Mais retournant à la mairie, les deux frères montèrent (à la) salle du cadastre. Quelques minutes plus tard, (ils étaient) comme un drap » …

 « Deux autos allemandes les attendaient au moment où ils montaient à part dans chaque auto et partirent direction la caserne (….) à Marennes.

Tenant cela de ma femme (alors jeune femme de Jean Gorichon) les Allemands montraient Jean la face dans une flaque d’eau et disaient à René : 

  • Tu vois ton frère est mort, si tu en veux autant avoue.

… Je tiens cela de ma femme mariée à Jean le 25 septembre 1943, restée 15 jours mariée.

Au cours de l’après-midi, les deux frères sont ramenés chancelants et hagards, à l’endroit où les armes ont été cachées. Elles sont intégralement récupérées. La fouille de la ferme permet de découvrir dans une armoire, un autre parachute. Le père, Julien Gorichon arrêté pour interrogatoire, violenté, est relâché deux jours plus tard tandis que le petit groupe est transféré à la prison Saint Maurice à Rochefort où il retrouve des résistants de Marennes dont Jean Hay, ceux de l’île d’Oléron et de Rochefort arrêtés pour la plupart la veille. Ils sont rejoints le 14 octobre par Jacques Palacin et Jean Gautier et le 11 novembre par Marcel Neau. Tous sont considérés par les autorités comme des membres de « Honneur et Patrie » et ont été jugés comme tels.

La détention à Rochefort

Elle va durer deux longs mois dans la souffrance et l’angoisse qui alternent avec des moments d’espoir. Les interrogatoires des premiers jours sont d’une extrême brutalité, les confrontations épuisantes. Tous les moyens sont bons : coups, chantage. La peur de craquer est obsédante. C’est ainsi qu’au soir d’un de ces premiers interrogatoires Jean Hay confie à l’un de ses camarades qu’il a tenu mais qu’il craint de ne pouvoir résister lors des prochains. Dans la nuit il tente de mettre fin à ses souffrances en s’ouvrant les veines.

 

 

 

Les vêtements souillés de sang qui sont remis aux familles contre du linge propre, témoignent de l’état physique des prisonniers mais leurs geôliers soucieux de l’apparence, leur prodiguent quelques soins …

Mme Gautier se souvient encore d’un pantalon qui, à son grand étonnement était coupé au niveau des fesses. Elle a appris par la suite que c’était l’œuvre des coups de nerf de bœuf. Son mari avec une cuisse aux chairs broyées, des plaies infectées qui découvrent l’os, a failli être amputé de la jambe.

De son côté René Gorichon dans une lettre à son amie Lucette raconte qu’il est immobilisé lui aussi, à cause d’une jambe probablement fracturée : « L’infirmier vient tous les quatre jours, ce qui a envenimé la plaie qui s’est chargée d’humeur surtout ici que … le manque d’air et d’agitation, le sang s’est beaucoup vicié. Maintenant, j’ai une planche pour immobiliser la jambe, vous parlez que ça m’amuse cette invention, avec ça, ils me font des pansements froids au liquide Daquin pour tirer l’humeur, c’est très supportable et ça fait du bien. »

Les familles ont l’autorisation d’apporter nourriture et habits dans lesquels, elles glissent des petits mots, du tabac, quelques douceurs et parfois elles rapportent des lettres cachées dans une bouteille thermos. « Chère Lucette. J’espère que vous avez reçu de mes nouvelles, il n’y a pas longtemps. J’avais écrit dans une bouteille thermos chez moi pour qu’on vous la fasse parvenir, chose qui a été faite. Du moment qu’ils viennent nous ravitailler tous les deux jours… » René Gorichon a pu faire parvenir trois lettres à son amie Lucette. Ce courrier échangé par la famille Gorichon donne quelques indications sur les conditions de détention.

« …hier j’ai eu deux lettres, une de chacun, ils ont toujours bon moral. Jean me demande une assiette en fer, nous (n’en) avons pas, mais maman en a … ainsi qu’un jeu de carte… (Paulette Gorichon). Madame Gautier se souvient qu’elle se rendait quotidiennement à Rochefort à bicyclette. En montant sur le talus qui bordait alors le mur de la prison, comme les autres femmes, elle pouvait voir les fenêtres du premier étage. Si par bonheur un détenu apercevait l’une ou l’autre, il faisait passer le message et quelquefois, elles pouvaient voir leur mari, fils, fiancé et communiquer par signes. Grâce à la complicité des gardiens, deux enfants ont été introduites dans la prison pour voir leur père : la petite fille de Jacques Palacin et la petite Marie Thérèse Gautier alors âgée de 7 ans qui a pu rapporter un petit mot de son père.

Une même détresse crée des liens. Une microsociété de solidarité et d’entraide morale, d’amitié s’organise. Pendant la période des interrogatoires, les consignes sont strictes et il est interdit de parler pendant la promenade. Par contre, lorsqu’ils sont dans leurs cellules, les conditions d’internement favorisent les échanges d’informations permettant de savoir ce que l’on peut lâcher et ce que l’on doit taire pendant les interrogatoires. Alexis Marot qui a vécu cette épreuve, en a témoigné dans un discours, le 11 juin 1967 :

« …la prison Saint Maurice, qui comportait des cellules de force au rez-de-chaussée et des chambres disciplinaires au 1er étage, n’était pas conçue pour tenir ses prisonniers au secret. Cette situation particulière a permis des contacts, des conversations avant les interrogatoires : elle a eu pour résultat certains acquittements faute de preuve…

Les premiers arrêtés mirent peu de temps à s’apercevoir qu’il était possible, sans le moindre risque, de parler avec les voisins de cellule. Les nouveaux arrêtés, après une période de silence plus ou moins longue, finissaient par répondre aux appels des plus anciens. Les quelques minutes devant les lavabos chaque matin permettait de donner un visage aux camarades dont nous ne connaissions que d’abord que la voix. De véritables liens d’amitié se sont noués au fur et à mesure des nouvelles arrestations et nous avons appris à bien connaître les caractères et la personnalité de camarades comme Duc, Etchebarne, Jean Gauthier, les frères Gorichon, Palacin pour ne citer que ceux dont l’inculpation était directement liée aux parachutages et qui ne sont pas revenus…

Deux circonstances faisaient de Saint Maurice une prison exceptionnelle : la nourriture quotidienne était fournie par les familles et les gardiens étaient, dans l’ensemble, compréhensifs et pitoyables. »

La durée de la détention est source de découragement, d’ennui mais aussi d’espoir. Est-ce par inconscience de sa situation ou seulement pour rassurer son amie Lucette que René Gorichon termine sa lettre du 10 décembre, par une note optimiste «  …en attendant des jours meilleurs qui j’espère seraient, car les bruits qu’on appelle ici « radio – prison » sont bons ».

Mais … le 13 décembre Paulette, l’épouse de Jean Gorichon qui comme d’habitude, se rend à Rochefort pour apporter de la nourriture, elle apprend qu’ils sont « partis du matin laissant valises et couvertures pour une direction inconnue…

Dans la même lettre adressée à Lucette elle ajoute « mardi je suis partie à Bordeaux et retournée jeudi pour aucun succès. Ils ne veulent pas nous dire où ils les ont emmenés ».

En effet, le 13 décembre en camions bâchés encadrés militairement, tous les détenus de « Honneur et Patrie » de la prison Saint Maurice sont transférés au fort du Hâ à Bordeaux. Ils savent qu’ils vont être jugés :

« Avant le départ, un gardien nous avait confirmé ce qu’avait dit la gestapo, c’est-à-dire, que nous allions être jugés, mais il avait ajouté que 16 d’entre nous seraient condamnés à mort … et nous étions 28 à partir. Bien peu sur les 28 avaient conscience de faire partie des 16 condamnés… » (Alexis Marot).  Ils sont rejoints par les résistants de La Rochelle, de Jonzac…

Ils se retrouvent dans une « vraie » prison au régime sévère. Aucune communication n’est possible. Les familles tentent vainement d’obtenir une autorisation de visite. Ils ont droit à un avocat commis d’office. Une des familles finit par obtenir un rendez-vous avec lui et comprend qu’il n’y a rien à en espérer. Pour la plupart d’entre elles, elles demeurent dans l’ignorance du procès, de ses résultats. Certaines d’entre elles ont appris l’exécution quelques jours après.

C’est le tribunal militaire de La Rochelle déplacé à Bordeaux qui officie à la fin du mois de décembre. Les accusés sont amenés devant le tribunal trois par trois, enchaînés pieds et mains pour une parodie de jugement.

21 condamnations à mort sont prononcées. Le groupe de Marennes/Saint Just est particulièrement touché avec quatre condamnés à mort qui sont fusillés le 11 janvier 1944.

« Nous ne devions plus les revoir et le dernier souvenir d’eux que je peux évoquer, c’est la voix de Duc, le soir du 24 décembre 1943, annonçant, depuis les cellules des condamnés à mort où ils étaient déjà transportés, leur condamnation par le tribunal. Sa voix forte ne tremblait pas… » (Alexis Marot)

Quant aux familles des condamnés à la déportation, elles n’ont pas été informées. C’est grâce à des petits mots que des cheminots ont trouvé entre les rails, qu’elles ont su qu’ils étaient déportés. Sur l’un, il était dit « nous partons tous en bonne santé vers le Nord… », le deuxième annonçait un départ « vers l’Est, untel en tel endroit, untel en tel autre endroit… ». Jean Gauthier, Marcel Neau, Jean Hay ne sont pas revenus.

Jean Gorichon 26 ans, René Gorichon 22 ans, Robert-Elie Duc, 33 ans, Jacques Palacin, 35 ans sont fusillés.

NB : les familles de Saint Just sont dans l’ensemble des familles modestes, dépassées par la situation, démunies de moyens de défense. Elles ne savent comment réagir, à qui s’adresser, à la différence par exemple de Madame Robinet qui a contacté un avocat à Paris qui la tient au courant des événements. Cependant certaines ont essayé vainement de rencontrer l’avocat commis d’office. Elles ignorent la date du procès fin décembre et les sentences prononcées. La famille Gorichon apprend l’exécution de ses deux membres quelques jours après et parce que l’une des sœurs est allée chez l’avocat à Bordeaux. C’est la secrétaire qui l’informe qu’il n’y a plus rien à faire

Créé le 10/02/2006 par  Nicole Proux ; Témoignage de Mme Gauthier 05/05/2006 ; Discours d’Alexis Marot du 11/06/1967 ; Témoignage écrit du garde champêtre, 1996 ; Lettres de René Gorichon, de Madame Jean Gorichon ; Henri Gayot, Occupation, Résistance, Déportation, 1940 – 1945.