L’appareil répressif

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La préfecture

Marcel Bodenan est préfet de la Gironde depuis 1937. Juste avant l’arrivée des Allemands il fait détruire le fichier des « politiques ».

Dès août 1940 il est remplacé par François Pierre-Alype. Ce dernier signe les principaux documents organisant la répression. Pétainiste convaincu, il applique de façon rigoureuse les circulaires et instructions du gouvernement de Vichy. En fuite à la fin de la guerre, il est condamné à mort le 21 octobre 1946 mais acquitté le 20 février 1955 après s’être spontanément présenté devant le parquet militaire.

Pierre-Alype est secondé par son directeur de cabinet Georges Reige, adepte des théories de Maurras et de l’Action Française. Reige reconstitue le fichier des militants de gauche et engage farouchement la chasse aux communistes, aux syndicalistes, aux francs-maçons, aux gaullistes.

Conséquence de luttes d’influences internes à Vichy, Pierre-Alype et Reige sont remplacés le 1er mai 1942.

Maurice Sabatier devient le nouveau préfet régional, et Maurice Papon secrétaire général de la préfecture de la Gironde.

Le 28 août 1944, Gaston Cusin, résistant reconnu nommé par le Général De Gaulle, délégué du Gouvernement provisoire de la République Française à la libération du Sud-Ouest et commissaire régional de la République, nomme Maurice Papon préfet des Landes.

Ce dernier, devenu plus tard préfet de police de Paris, sera responsable de la lutte contre le FLN (Front de Libération Nationale) algérien, et des agressions policières tant lors de la manifestation du 17 octobre 1961 (plus d’une centaine de morts) que lors de celle du 8 février 1962, qui se traduira par la mort de huit manifestants coincés au métro Charonne. Il sera, le 2 avril 1998, condamné pour complicité de crimes contre l’humanité pour son rôle dans l’organisation des rafles de juifs et leur déportation.

Léon Coursin, reconnu résistant après-guerre, a été durant toute l’occupation directeur du Port Autonome de Bordeaux. À ce titre, il a toujours entretenu de bonnes relations avec l’occupant et avec Vichy. Il leur a même facilité la tâche quand il s’est agi de combattre l’action syndicale. Ainsi, il signe une lettre au préfet le 23 juin 1942, dénonçant l’action de la CGT et de ses militants. Nommé préfet de la Gironde (30 août 1944 à mai 1945), il signe en février 1945 l’ordre de libération de collaborateurs, dont un est responsable de l’arrestation d’un résistant du réolais, mort en camp de concentration.

La police

Il y a les décideurs et les exécutants.

Anticipant quelquefois, exécutant toujours les consignes de Reige avant de se mettre directement sous les ordres de la Gestapo de Dhose, Pierre Napoléon Poinsot, anticommuniste acharné, commissaire de la police spéciale, avec une vingtaine d’hommes constituant la SAP (section des affaires politiques), sera un des organisateurs majeurs de la traque des communistes, et des autres résistants.

Par ambition, il adresse à ses supérieurs des notes critiquant certains responsables dont il voulait prendre la place et fait l’objet d’une décision de mutation pour Évreux. Mais les autorités allemandes ne peuvent voir s’éloigner un tel policier. Sur leur intervention, avec l’appui de Reige, Poinsot reste à Bordeaux.

Selon les sources, de 1 000 à 3 000 patriotes résistants seront pourchassés, piégés, arrêtés, interrogés, torturés, inscrits sur la liste des otages à fusiller par la SAP de Bordeaux, qui rayonne de Bayonne à Périgueux, et n’hésite pas à « monter » jusqu’à Poitiers et Châtellerault pour essayer de faire parler celles et ceux qu’il suit et poursuit avec obstination.

Dans sa tâche, Poinsot est secondé par des inspecteurs dont Laffargue, Langlade, Tournadour, Célérier, Evrard, signataires des procès-verbaux d’interrogatoires « musclés ».

Selon les témoignages recueillis après guerre, pour faire face aux interrogatoires « appuyés », les organisations et réseaux donnaient comme consigne de nier, au moins durant les premières quarante-huit heures, pour donner au réseau le temps de se réorganiser, et ensuite de dire des évidences connues de la police, ne mettant pas (ou le moins possible) les hommes et femmes en danger.

Début 1944, Poinsot est nommé sous-directeur des Renseignements Généraux à Vichy. À la Libération, il s’enfuit en Suisse où il est arrêté porteur d’une grosse somme d’argent et de bijoux. Avec Célérier et Evrard, il est condamné à mort. Il sera exécuté en juillet 1945 à Riom (Puy-de-Dôme). (Laffargue écopera de vingt ans de travaux forcés).

L’appareil répressif allemand :

L’entrée dans Bordeaux des troupes d’occupation le 28 juin 1940, en application de la convention d’armistice, marque le point de départ de l’histoire sanglante du camp de Souge.

Pour la Wehrmacht le camp n’a pas un caractère stratégique majeur mais, par son étendue, il offre des possibilités de cantonnement importantes. Surtout, le camp présente deux avantages : il n’est pas très éloigné des lieux de détention de Bordeaux et de Mérignac et en même temps il peut garantir, par son isolement au cœur d’une lande de pins, la discrétion des exécutions.

Les premières opérations de répression menées par la Wehrmacht entre juillet 1940 et mai 1942 relèvent du général Moritz von Faber du Faur. Installé au 28 rue Vital-Carles, ancien siège de la 18ème région militaire de Bordeaux, son autorité s’impose sur le « Gross-Bordeaux ». Chef de l’administration militaire pour la région de Bordeaux jusqu’en janvier 1942, il porte la responsabilité nominale de la machine répressive lors des premières exécutions à Souge.

La responsabilité du chef de l’administration militaire de la Wehrmacht à Bordeaux est réelle puisqu’il décrète l’exécution des 50 otages à la suite de l’assassinat du conseiller Reimers comme il le précise dans une lettre du 23 octobre 1941 adressé au maire de Bordeaux. Cependant, les ordres viennent de Paris, en particulier du commandant des opérations militaires en France, le général Otto von Stülpnagel, qui lui-même applique les consignes de Berlin. La chaîne décisionnelle est donc très longue.

La « Gestapo » à Bordeaux

Le terme Gestapo, (acronyme de Geheime staatspolizei), c’est à dire « police secrète d’Etat », est impropre mais d’usage courant. En effet, cette police secrète d’Etat, organisée par la SS, n’est opérationnelle que sur le territoire du Reich.

A Bordeaux – comme dans le reste de la France occupée – il faut plutôt évoquer le rôle de la section IV du KDS (Kommando der Sicherheitspolizei (SIPO) und des Sicherheitsdients (SD), soit le commandement régional des forces de police nazies.

Siège de la gestapo au Bouscat
Siège de la gestapo au Bouscat © DR

Installé à Bordeaux dès le 1er août 1940 sous l’autorité du commandant SS Herbert Hagen, avant sa promotion auprès du général Karl Oberg à Paris en mai 1942, le KDS occupe un rôle de premier plan. Son siège de sinistre réputation est situé au Bouscat, non loin des boulevards bordelais.

A partir de 1942, Berlin considère plus efficace de confier les opérations répressives à des services policiers formés de cadres de la SS en lieu et place des officiers de la Wehrmacht, laquelle conserve néanmoins la responsabilité de l’administration et des opérations strictement militaires.

A la tête du KDS de Bordeaux en juin 1942, le commandant Hans Luther et son successeur à partir d’octobre 1943 Walter Machule font preuve d’une grande opiniâtreté dans la traque et la liquidation des réseaux de résistants.

Aidé par les services du commissaire Poinsot et fort de ses 290 agents, le KDS multiplie les arrestations et l’usage de la torture. Le nombre important de résistants arrêtés fusillés à Souge entre 1942 et 1944 doit être mis à son débit.

Le rôle du lieutenant Friedrich-Wilhem Dohse, adjoint au chef du KDS, est notable. Ce policier est fin tacticien, avec à son actif le développement d’un réseau de relations et d’informateurs efficace. Ainsi, bien que d’un grade peu élevé par rapport à ses responsabilités, Dohse s’impose comme l’homme fort des services répressifs allemands à Bordeaux.

Friedrich Dhose est donc un des principaux responsables de la persécution des résistants dans la région.
Il avait accordé en 1987 une entrevue à des journalistes de Sud-Ouest.

La description qu’il fait de lui-même, conforme à la position qu’il a adoptée durant son procès en 1953, montre que lorsqu’il est mort dans lit près de Kiel à 82 ans, il avait la conscience tranquille.

Condamné à sept ans de prison en 1953, il est aussitôt relâché la peine étant couverte par la détention préventive.

Fusillés, déportés, torturés les résistants ? Certes mais il leur en attribue semble-t-il la faute… et lui, n’aurait jamais torturé.

Mais ainsi que le note le journaliste de Sud-Ouest dans l’article du 5 octobre 1987 : « Engagé dès 1935 dans les SS et la Gestapo alors qu’il était inspecteur de police, serviteur zélé du III° Reich, Friedrich Dhose régnait incontestablement sur Bordeaux et il paraît peu probable qu’un service, quel qu’il fût procédât à un interrogatoire, voire à des actes de torture sans son assentiment. »

Il jouissait, à l’heure des restrictions imposées à la population d’une situation privilégiée. « C’était la belle vie, et champagne tous les jours. » (Sud-Ouest 5/10/1987). On trouve dans le même article ces propos touchant ses rapports avec la préfecture : « J’allais les voir lorsque j’avais besoin d’argent. Je demandais et j’obtenais ce que je voulais. »

Nombre de sources font état de la profession de négociant en viande et volaille qu’il aurait exercée après sa libération. Un de nos correspondants nous a fait parvenir une page de facture que nous communiquons ici mais sur laquelle nous n’avons pas plus de renseignements.

DHOSE

Des auxiliaires de Poinsot et de la Gestapo

Quelques résistants acceptèrent le marché de la trahison. Ils ne furent pas nombreux mais occasionnèrent de terribles dégâts au sein de la Résistance. Parmi eux :

  • Jacques Piquet, responsable de dizaines d’arrestations de communistes girondins et des régions voisines, exécuté par les FTP le 13 janvier 1943.
  • Ferdinand Vincent, qui dès son arrestation, avec acharnement, se met en chasse de ses anciens camarades de parti et de combat, devient responsable en 1944 d’un service de renseignements de la Gestapo ; condamné à mort, il sera fusillé le 28juillet 1949.
  • Pierre Giret, nom tristement connu par nombre de familles de fusillés de Souge.

Giret échappe en novembre 1941, à l’arrestation d’un groupe de résistants communistes des Landes. Après une longue cavale clandestine, il est envoyé, début 1942, à Bordeaux pour seconder Jean Arlas, dit « Lucien» responsable interrégional du PCF.

Giret et son épouse sont arrêtés le 25 mai 1942 par le commissaire Poinsot. Dès ses premiers interrogatoires, Giret livre des noms, des pseudonymes, des signalements, indique des lieux où « une surveillance pourrait utilement être faite » (rapport de police), s’engage à « apporter (son) concours le plus loyal » au commissaire Poinsot. Dans les jours qui suivent, sept Bordelais, militants communistes ou de la CGT, sont cueillis par la police. D’autres résistants, mis en cause par Giret, sont arrêtés le 29 mai, notamment dans les Landes.

Le 30 mai, conduit à son domicile par trois policiers, Giret réussit à s’évader… en sautant du premier étage ! Son épouse, en détention à l’hôpital Saint-André, réussit aussi à s’évader le 13 juin ! Les circonstances de chacune de ces « évasions » ne manquent pas d’interroger. Déjà, Giret a donné quelques gages ! Et Poinsot sait que ses deux « évadés » seront pris en charge par le réseau communiste clandestin ; il suffirait que les époux Giret fassent rapport de leurs observations, de leurs renseignements et continuent à entretenir la confiance avec l’organisation communiste…

Et de fait, une quarantaine d’arrestations ont lieu en juillet dont celles d’importants responsables du Parti communiste. Le couple Giret risque de devenir suspect et Poinsot tient à conserver leur crédibilité : il va les arrêter à nouveau le 27 juillet.

Le couple décrit ses planques, ses contacts. Nouvelles arrestations. Giret, officiellement en prison, va être envoyé dans les Landes, assisté d’un inspecteur de police : « Je le ferai passer pour un délégué du Comité central. Nous saurons ainsi où en est le PC, ses planques… tout ce qui vous intéresse » écrit-il à destination de Poinsot. 80 résistants FTP sont arrêtés dans le département.

Pour la qualité de ses services, Giret est libéré le 15 septembre, sa femme le 22. Il devient l’agent 155 de la Gestapo et va poursuivre sa sale besogne dans les Basses-Pyrénées – une centaine d’arrestations – jusqu’en février 1943, puis sur la Côte basque : 53 arrestations.

Depuis un certain temps, le PCF clandestin sait que Giret, et avec lui Vincent et Piquet sont des agents de la Gestapo. Ce dernier exécuté par les FTP, Giret doit mesurer le danger. Il tente de mettre en place un double jeu. Devenus méfiants, les policiers allemands l’arrêtent le 18 avril 1943. Il est déporté à Mauthausen en août et sa femme à Ravensbrück en octobre.

À son retour de déportation, Giret reste introuvable. Il est condamné à mort par contumace le 12 janvier 1946 par la Cour de Justice de Bordeaux. Les résistants, qui le recherchent avec constance, pensent qu’il a trouvé refuge à Mendoza (Argentine) où sa femme, maintenant remariée, est allée s’établir fin 1947. Mais aucune trace de sa présence n’est trouvée. Il semble plus probable aujourd’hui à Jean Lespiau, un résistant des Landes, qu’il fit « une cavale illégale en France qui à certains égards ressemble à celle de Touvier… Il a attendu la prescription de 20 ans puis a refait surface sous son vrai nom. Il tenait une galerie d’art à Perpignan, où il est décédé le 8 août 1985 ».

Responsable de l’arrestation de plusieurs centaines de résistants, dont beaucoup ont été fusillés ou déportés, Pierre Giret, auxiliaire de Poinsot et un des principaux agents de la Gestapo en Gironde, ne rendra jamais compte de ses crimes.