Rendre hommage aux fusillés, c’est aussi évoquer la dimension humaine de ces hommes qui aimaient la vie, leur familles, leurs amis.
La mise en valeur de ces quelques témoignages poursuit cet objectif.
Outre leurs lettres et la parole de leurs enfants et petits enfants, cette rubrique est appelée à recevoir divers autres témoignages de personnes ayant connu ou fréquenté certains des fusillés ou amenant des éléments historiques.
Ainsi l’Association a sollicité le témoignage d’enfants, petits-enfants, neveux ou nièces de fusillés qui parlent ici témoignages vidéo de leur vécu et de celui de leur famille.
« Qui que vous soyez, rendez-moi le service de faire passer ce mot à ma femme pour qu’elle ait de mes nouvelles… je vous en remercie d’avance au nom de mon enfant. Faites ce geste en mettant ce pli sous enveloppe et en l’envoyant à l’adresse ci dessous…
Ma chère femme, ma chère enfant,
Je confie ces deux mots à la bonté d’un passant qui j’espère fera le geste que je lui demande, je suis bien malheureux d’être séparé de vous, mais il faut espérer que la séparation ne sera pas bien longue…
…si tu peux venir, viens à la rue devant le numéro 8, de midi à deux heures, car à ce moment-là c’est à peu près tranquille, jeudi. Je sais que je suis rue de Pessac, au Conseil de guerre…
Je te demanderai ma chérie, de faire ce que tu pourras pour m’envoyer à manger, car j’ai faim, bouillon le matin et le soir, avec un morceau de pain gros comme le poing…
Je pense continuellement à vous et le moral travaille dur… As-tu mon vélo pour aller au jardin où tu dois avoir beaucoup de travail et ensuite faire des conserves… »
« …. quand tu viendras, pour lire le papier va-t’en un peu plus loin, et un quart d’heure après reviens pour me voir et tu t’en iras, et avant que je te lance le papier tu feras attention qu’il n’y ait personne… Tu enverras l’autre lettre à…
… si un jour tu viens et que je ne sois pas à la fenêtre, va jusqu’au bout du bâtiment et reviens. Si tu ne me vois pas, c’est que j’aurais changé de cellule…
… Je te promets que les petits pains et les œufs c’était bien bon, et c’est dommage qu’il n’y en avait que deux, mais si les autres paquets passent, là ça sera la fête… »
« … la barbe c’est 3 Frs, les cheveux 6 Frs… tu me dis que tu m’envoies le mandat, mais de combien il est ? … »
« … depuis 53 jours que je suis ici… et si j’étais condamné et que je doive passer l’hiver ici, tu m’enverras des effets, ceux que j’ai de plus vieux, car le linge est lavé à la machine et il revient dans un triste état… »
« …en attendant de vous voir à toutes les deux, reçois ma chérie les meilleurs baisers de ton mari qui pense à toi, embrasse bien fort ma Jojo. Bonjour à tous. »
« … Le jour où je fus arrêté
Si tu savais comme je fus matraqué
Ils me laissèrent pour le moins 48 heures sans manger
Grelotant sur le bas flanc »
« Je m’attends à être condamné à mort… Les boches sont déchainés. Je vous ai déjà dit que j’attendais avec calme… Je ne regrette rien et si c’est dur pour moi de mourir à vingt-cinq ans, je me raisonne et m’apprête à faire bonne contenance devant la mitrailleuse boche. Je pense à ma mère que les assassins ont rendue folle, à mon père qui est mort certainement depuis longtemps. Camarades, faites payer aux boches nos tortures physiques et morales. Au centuple, tuez, tuez sans pitié chaque boche …
N’oubliez jamais les boches français, la sinistre bande à Poinsot, l’inspecteur principal René Perrot de Puignac (probablement Pugnac ndlr), Evrard, Célérier, Englade… Ne vous occupez pas d’une justice officielle si elle doit être longue. Faites payer les tortures, les morts, la faim qui nous tord l’estomac. N’oubliez rien.
Avant de terminer, j’embrasse tendrement ma compagne, ma courageuse amie… Qui elle aussi, souffre en prison. Dites-lui que c’est avec une pensée pleine des jours durs mais heureux que nous avons passés ensemble que je m’apprête à mourir le plus courageusement possible.
Et vous tous, chers camarades, continuez l’œuvre entreprise. Nous vous passons le flambeau. Il est, je suis sûr, en bonnes mains. Le Communisme c’est l’avenir du monde.
Je vous embrasse bien fort.
Vive le Parti communiste !
Vive la France ! »
« Chère Petite Mère, Cher Petit Père,
Je vous écris ces dernières paroles qui vous feront beaucoup de peine car votre seul et unique fils qui vous quitte pour toujours, part à la mort après avoir dit toute la vérité et être innocent.
Aussi par conseil de Monsieur le curé, vous serez protégé malgré tout, car il me l’a promis et le Bon Dieu aussi.
Je vous quitte en vous assurant que je serai courageux jusqu’au bout. Recevez, bien chère Petite Mère et cher petit Père, les plus gros baisers de votre fils qui meurt en bon chrétien je vous le promets.
Adieu Maman, adieu papa, pour toujours au ciel.
Maman, papa, votre seul fils, Courage. »
« Petite Mère,
Je regrette de tout cœur la peine immense que je vais te causer ainsi qu’à toute la famille. Je vais être exécuté ce matin dans une heure ou deux. Je pars sans peur et avec courage. Je te souhaite de tout cœur d’être heureuse avec…
…. À tous, je vous quitte et vous dis adieu en vous serrant sur mon cœur. »
« Ma chère femme, mon cher père, ma chère mère…
Je vous annonce la triste nouvelle que je vais être fusillé dans deux heures. Toi, ma petite femme chérie tu tâcheras d’oublier et tu referas ta vie. Excuse-moi si je t’ai causé de la peine. Mes économies qui sont chez nous, tu peux en disposer, et j’espère que l’on te considérera toujours de la famille. Adieu pour toujours… »
« … À huit heures je serai exécuté, chérie, je te demande d’être très courageuse, moi je puise mon courage en toi et en Dieu. Je viens de me confesser et de communier et je t’attendrai là-haut mon amour, je meurs en pensant à toi. Je sais chérie que tu te gardes à ton homme, mais si un jour tu as l’occasion de refaire ta vie, je t’autorise mon amour chéri à le faire et à être heureuse. Je te demande de penser souvent à ton Pierrot pour qui tu étais tout, tout, car je t’adore ma petite femme. Je regarde la mort en face mais à toi chérie je te demande d’être courageuse… »
« Ma chère petite femme aimée,
Je t’écris cette dernière lettre car je viens d’apprendre que dans deux heures, je vais être fusillé. Soit courageuse, pense aux enfants, tu sais que je n’ai jamais rien fait que j’ai toujours été bon pour vous, hélas tout espoir de vous revoir est perdu, tu ménageras la nouvelle à ma mère. Tu sais, c’est dur de te faire souffrir de la sorte, embrasse mille millions de fois mes chéries, soit bonne mère…
… Pardon, pardon à tous… »
« … À vous qui vous êtes dévoués, sacrifiés, qui avez sacrifié toute votre vie pour me donner une solide instruction… La mort ne me fait pas peur… Je ne souffrirai plus, je n’aurai plus faim, je n’aurai plus le cœur assoiffé de liberté, et au moins je ne serai plus dans mon infâme cellule derrière mes barreaux, toujours affreusement triste. Donc vous voyez papa et maman chérie que ce n’est pas moi le plus à plaindre… À cause de moi vous allez être pendant des années torturés moralement…
Soyez fort et courageux pour moi. Reportez sur mon frère tout l’amour que vous me vouez. Essayez de m’oublier en vous disant : Notre Pierrot est mort pour une noble et grande cause. Sa mort n’a pas été inutile, il le savait en mourant… »
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« J’ai si mal,
… Papa a été fusillé par les Allemands, le 21 septembre 1942 (il avait 42 ans) au camp de Souge à Bordeaux. J’avais 17 ans… j’en ai maintenant 84. Je suis traumatisée à vie, je le pleure encore. On lui a fait écrire une lettre une heure avant d’être fusillé. Ils étaient 70. Nous ne l’avons su qu’un mois plus tard. Nous ignorions avec Maman, qu’il faisait partie de la Résistance.
La rue qui passait devant notre maison se nomme toujours… à Saint-Louis-de-Monferrand. J’ai abrégé les explications, mais je me souviens de tout comme si c’était hier. Je vous demande pardon pour cette longue lettre, mais j’ai si mal… »
« Je me souviens,
C’était en juillet 1942, j’avais un laissez-passer pour aller en vacances en zone libre. Maman m’avait accompagnée jusqu’à Langon, limite de la zone occupée. Papa n’avait pu nous accompagner, devant travailler. En réalité, il avait une réunion clandestine dans un café avec d’autres membres de la Résistance.
Après avoir eu mes bagages fouillés, mon violon désaccordé (au cas où j’aurais transmis des documents) j’ai pu prendre mon train.
Quelques jours plus tard, par carte découverte, maman m’a annoncé l’arrestation de papa.
Je me souviens, j’ai éclaté en sanglot en disant: Je ne reverrai jamais plus mon papa. Ma grand-mère a essayé de me consoler mais au fond de moi-même, je savais…
Oh, oui je me souviens:
Ce jour-là ma vie de petite fille heureuse et choyée a basculé dans le monde des adultes.
Mon enfance m’a été volée à 9 ans.
J’ai appris la méchanceté des adultes vis à vis d’une petite fille qui n’avait plus son papa pour la défendre, qui avait une maman repliée sur son chagrin. J’ai supporté sans me plaindre les brimades d’une institutrice pro collaboratrice, les gens qui vous évitent comme si on était une pestiférée, sans compter les réflexions méchantes tant d’enfants que d’adultes.
« À mon retour de vacances nous sommes allées maman et moi le 22 septembre 1942 au Fort du Hâ pour essayer d’avoir des nouvelles de papa. Un Allemand, une liste à la main nous a dit : « M … parti … » (il avait été fusillé la veille – ndlr)
Mon frère est né six mois après la mort de papa. À 13 mois, il est parti à la campagne pour vivre chez notre grand-mère. J’ai très mal vécu cela. Après mon papa qui m’a été enlevé, c’est mon frère qui me quittait. L’atmosphère à la maison était triste et pesante.
Nos écoles étaient réquisitionnées par les Allemands, nous manquions de tout, d’argent, de nourriture. Je ne pouvais plus faire d’études de violon comme mon père le désirait. Je ne l’avais plus pour me donner des cours de dessin et de peinture.
J’étais perdue dans un monde hostile. Je me suis mise à faire l’école buissonnière…
Mon frère ne peut se souvenir.
Mais ce que je sais, c’est que nous sommes restés marqués par l’absence de notre père. Un père qui a donné sa vie comme tant d’autres, pour que nous, ses enfants puissions vivre libre dans une France libre. »
« Je n’ai jamais revu maman
Je n’avais pas encore sept ans. C’était un vendredi. Je revenais de l’école, à midi … La maison était pleine d’hommes en civil qui fouillaient partout : dans la cuisine, dans les chambres, dans les tiroirs…
Mon père est revenu du travail et tout le monde est reparti emmenant mes parents. Direction: le « Fort du Hâ ».
Le dimanche, maman revenait. Comment avais-je vécu ces deux jours avec ma sœur ? Je ne me souviens plus. Peut-être chez des voisins, des amis …
Puis papa fut transféré dans le quartier de Bacalan. Là, nous allions lui rendre visite très souvent. Ils étaient nombreux. Beaucoup de Bèglais.
Une fois, je me souviens, papa est venu passer la journée à la maison. Aurait-il pu profiter de cette journée pour passer en zone libre, ne pas revenir au camp ? Sûrement … Mais il laissait sa femme et ses deux filles. Il ne l’a pas fait.
Puis tout le monde fut transféré à Mérignac. Là, tous les dimanches, nous partions le voir. Je me souviens: un grand portail, une guérite, une grande cour, des baraquements et là, papa et ses « copains ».
Puis, un jour, un officier allemand a été tué, On a pris cinquante otages à Mérignac. On les a fusillés le 24 octobre 1941. Parmi eux, il y avait mon père.
Je n’avais pas huit ans. Je me souviens encore.
Puis la vie hélas a continué. Maman et ma sœur ont continué le combat, distribué des tracts, aidé et caché des réfugiés.
En juillet 1942, je revenais de l’école, c’était un samedi il y avait un mot sur la table de la cuisine. Maman avait été arrêtée elle aussi.
Je ne l’ai jamais revue. Fort du Hâ, Romainville, Auschwitz.
J’avais huit ans et demi. Je me souviens toujours. »
« J’avais dix ans depuis trois jours quand, le 8 février 1941 mon père a été arrêté, j’avais dix ans depuis trois jours !
J’étais jeune mais je me souviens : d’abord interné à Bacalan, puis transféré à « Mérignac-Pichey », il est resté dans ce camp jusqu’au 24 octobre 1941, date à laquelle il a été fusillé parmi les 50 otages au camp de Souge.
À diverses reprises, ma mère dans l’impossibilité de se libérer m’a envoyée seule lui rendre visite et lui porter quelques maigres provisions.
Nous habitions Libourne. Il fallait donc se rendre à Bordeaux, ce que je faisais grâce à une voisine qui assurait une liaison de transfert de colis entre ces deux villes et me déposait près des Quinconces pour prendre un tram jusqu’à Mérignac-Pichey.
Lors d’une de ces visites, alors que je descendais du camion, j’ai vu un tram partir. J’ai couru, ai pu le prendre en marche et n’ai réalisé mon erreur qu’en arrivant au terminus : Mérignac et non Pichey.
Bien jeune et inexpérimentée, j’ai continué le parcours à pied, désespérée et en pleurs. C’est alors qu’une carriole tirée par un cheval s’est arrêtée à ma hauteur. L’homme qui la conduisait m’a questionné sur mon chagrin et m’a proposé de me conduire à ma destination.
Mais auparavant, il devait livrer des fruits et légumes dans diverses résidences où des Allemands s’étaient installés. Je garde de cet homme un souvenir touchant : conscient du temps qui s’écoulait et du retard qu’il me faisait prendre, pour tenter de calmer mes pleurs, il m’offrait des bananes.
Et quand enfin nous sommes arrivés, c’était la fin des visites ! ! ! !
J’ai aperçu mon père qui raccompagnait une amie bordelaise venue le voir. Devant la déception de la petite fille que j’étais, le gardien m’a permis de rentrer et dans le grand hangar qui servait de parloir, j’ai pu partager un moment avec mon père.
Des deux ou trois autres visites que j’ai pu faire au cours de son internement, celle-ci m’a laissé une trace très forte ».
Les extraits ci-dessous, d’une note rédigée en août 1990 par Claude Meyroune témoin de l’époque, montre comment évolue et se développe en Gironde la Résistance en cette année 1941.
« ….. J. Panié-Dujac me met alors, en relation avec Jean (son nom René Jullien ne sera dévoilé qu’après son arrestation en juillet et son procès). Jean est interrégional clandestin de la Jeunesse communiste et assure la liaison entre le Sud-Ouest occupé et Paris. Il est clandestin et il est nécessaire de lui procurer des tickets d’alimentation et de l’aider financièrement.
Je le rencontre environ tous les quinze jours entre midi et treize heures, à la sortie du lycée… Nous partageons mon repas que j’apporte dans une gamelle et causons tranquillement: point de la situation, l’activité, les tracts.
René Jullien me fait rencontrer deux responsables clandestins : l’un, très brun, fin mars 1941 (au moment du coup d’état pro-allemand à Bagdad), l’autre présenté comme “Armand” en mai 1941 (?).
Tous deux, après un exposé sur l’évolution de la situation (Bagdad, puis avec Armand, l’envahissement de la Yougoslavie par les nazis, et la résistance des Yougoslaves) développent l’idée de la nécessité de former un “Front National pour l’Indépendance de la France”. Aussi je ne suis pas surpris lorsque fin mai 1941, arrive le tract annonçant la création du FNL, officiellement.
l’Humanité clandestine p.1 p.2 (archives ASFS)
Notre groupe de lycéens entretenait déjà de bonnes relations avec des gaullistes non organisés. Il en était de même chez les étudiants. La création du FNL a été accueillie favorablement. Nous faisons circuler, l’Huma, Avant-Garde, les tracts locaux… Nous éditons nos propres tracts… Nous réalisons… des sorties nocturnes pour faire des inscriptions sur les murs… Notre groupe… collecte argent, tickets, vêtements pour la solidarité avec les familles d’internés et les clandestins. Nous lançons un Front National des Étudiants de Bordeaux.
En juillet 41, la formation de “groupes armés” est envisagée avec des volontaires venant de la JC, des étudiants du FNL… Jean Panié-Dujac nous met en relation avec “Joseph” (Raymond Nazereau) qui nous explique la mission dont il a été chargé. Il nous donne des idées sur les moyens de se procurer des armes (agresser des soldats allemands)… Il nous indique des objectifs à atteindre, la discipline à observer.
Panié-Dujac qui a fait son service militaire nous fait “une initiation militaire” (maniement d’un fusil-mitrailleur) dans le bois de Mérignac dans le courant du mois d’août et septembre 1941. À titre d’exercice nous coupons une ligne téléphonique… en septembre nous participons aussi à l’organisation de l’évasion de Lecourt et Williams du camp de Mérignac.
Nous sortons aussi des valises de “matériel” à la gare Saint Jean. Le jour de l’exécution du capitaine Reimers, le 21 octobre vers 19h, j’ai sorti une valise (bien lourde) que j’ai portée à une “planque” dans une petite rue donnant rue du Mirail… ». (Il s’agit probablement du magasin de Jean-Bernard Bonnafon, rue des Augustins.)
En conclusion, citons encore Claude Meyroune arrêté le 6 janvier 42 et déporté :
« L’exécution de nos camarades otages, à Souge, Châteaubriant et Nantes (Nous connaissions : René Jullien, Jean Michel qui était au lycée Longchamp avec nous), nous émeut profondément. Nous participons à une manifestation de recueillement, le premier novembre au cimetière de Talence, où l’on dit que les fusillés ont été enterrés. Nous voulons les venger. »
L’intégralité de la note de Claude Meyroune a été publiée par l’Institut Aquitain d’Études Sociales, bulletin numéro 61 de novembre 1993.